La solidarité a ses limites

17 juin 2016
PAR NICOLAS PEYCRU

Le Livret A et le Livret de développement durable (LDD) vont devenir à leur tour « solidaires ». Deux amendements ont été adoptés dans le cadre du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dit « Sapin 2 », permettant aux titulaires de ces livrets d’épargne réglementée de faire don d’une partie de leurs fonds à des acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS).

Le projet de loi Sapin 2 vient corriger une anomalie. Alors que se sont développés ces dernières années des livrets bancaires solidaires, des assurances vie solidaires et même des Sicav solidaires, soit des produits « privés », il n’existait pas jusqu’à présent d’équivalent dans les placements sous tutelle de l’Etat. Un comble !

Grâce au Livret A et au LDD solidaire (ou LDDS), cette lacune sera réparée. Mieux : les deux livrets défiscalisés pourraient booster le marché de l’épargne solidaire. En effet, les dons effectués via le Livret A ou le LDDS ne se traduiront pas par un pourcentage (25%, 50%, 75% ou 100%) prélevé sur les intérêts et plus-values générés, comme c’est le cas pour les livrets et assurance vie solidaires, mais par un transfert de fonds qui touchera le capital.

Une fois la loi promulguée, un décret devrait préciser jusqu’à quel point et comment les encours des Livret A et LDDS seront transférés aux associations, fondations, coopératives, mutuelles et autres sociétés coopératives et participatives (scop). Quoi qu’il en soit, les montants des dons devraient être nettement plus conséquents puisqu’ils ne se limiteront pas aux seuls gains mais porteront sur la totalité de l’épargne.

Surtout, les échelles ne sont pas comparables. L’encours cumulé des produits d’épargne solidaire s’élève à 5,32 milliards d’euros, contre 101,1 milliards d’euros pour le LDD et 255,2 milliards d’euros pour le Livret A. D’ailleurs, il était prévu dans un premier temps que seul l’ex-Codevi devienne solidaire. Les députés ont étendu la mesure au Livret A pour justement en décupler la portée.

Les élus du Palais Bourbon savent que l’ESS représente quelque 200.000 entreprises et structures employant 2,38 millions de salariés. Elle représente 10% du produit intérieur brut (PIB) et près de 12,7% des emplois privés en France. Il est donc important de soutenir ce pan de l’économie tricolore qui n’a pas accès aux marchés boursiers et éprouve souvent des difficultés à se financer auprès des banques.

Les deux amendements au projet de loi Sapin 2 vont donc dans le bon sens. Reste qu’il faudra transformer cette belle idée en monnaies sonnantes et trébuchantes. Or, le passage de la théorie à la pratique pourrait être plus compliqué que prévu. Primo, il est prévu que les établissements financiers proposent, selon leur bon vouloir, le Livret A et le LDDS. Pas sûr que les conseillers bancaires soient très motivés à vendre ces produits complexes et peu rémunérateurs puisque les capitaux placés seront destinés à être transférés en dehors de la banque.

Secundo, les Français sont loin de se « ruer » sur l’épargne solidaire. Elle représente, pour l’heure, 0,19% de l’épargne nationale, selon la 14ème édition du Baromètre de la finance solidaire réalisé par Finansol et publié le 30 mai 2016 dans La Croix. Soit très loin de l’objectif de 1% que s’est fixé l’association à sa création en 1995. Grâce au Livret A et au LDDS, on va pouvoir vérifier si le faible développement de l’épargne solidaire en France relève d’un problème d’offre ou de demande.

Auteur – Nicolas Peycru

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