Du rififi dans l’assurance emprunteur

19 mai 2016
PAR NICOLAS PEYCRU

C’est une véritable bataille que se livrent les juges à propos de l’assurance de prêt, ces couvertures permettant la prise en charge des mensualités de remboursement de crédit en cas d’arrêt de travail, d’invalidité, de décès, voire de perte d’emploi. Dans un arrêt rendu le 4 mai 2016, la Cour d’appel de Douai a estimé qu’un particulier pouvait résilier le contrat d’assurance de groupe de sa banque au profit d’une garantie individuelle, moins chère, proposée par un assureur.

Une décision totalement à rebours de l’arrêt du 9 mars dernier de la première chambre civile de la Cour de cassation qui affirme justement que la résiliation n’est pas possible en matière d’assurance emprunteur. La Haute juridiction a jugé que cette couverture était liée à la souscription d’un crédit en rappelant que celui-ci relevait du code de la consommation. Or, contrairement au code des assurances, ce dernier ne prévoit pas de droit de résiliation.

En s’appuyant sur cet argument, la Cour avait pris le contre-pied total de la cour d’appel de Bordeaux qui avait jugé que l’assurance emprunteur était, au contraire, un contrat d’assurance comme un autre et qu’au même titre qu’une assurance auto ou habitation, la résiliation « infra-annuelle » s’appliquait. Dans les deux mois précédant la date anniversaire de souscription, l’assuré peut ainsi, aux yeux des juges bordelais, mettre fin à son contrat en le stipulant à son assureur par l’envoi d’une simple lettre recommandée avec avis de réception.

L’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux avait fait grand bruit car il portait sur la totalité des assurances emprunteur. Si la loi Consommation du 17 mars 2014, dite « loi Hamon » (du nom du ministre délégué chargé de la Consommation de l’époque, Benoît Hamon), a instauré une résiliation « intra-annuelle » pour les assurances de prêt, cette possibilité de résilier durant les 12 premiers mois de souscription porte uniquement sur les contrats signés à compter du 26 juillet 2014. La décision de la Cour d’appel de Bordeaux concernait, elle, tout le « stock » d’assurances emprunteur.

On comprend, dans ces conditions, pourquoi les deux banques incriminées se sont pourvues en cassation. Avec succès, comme on n’a pu le voir. Les banquiers peuvent dire un grand merci à la Haute Cour. L’assurance emprunteur constitue, il est vrai, un gros enjeu pour eux. Compte tenu de la baisse des taux d’intérêt et de la forte concurrence sur le marché du crédit, cette couverture exigée par les établissements prêteurs devient plus que jamais stratégique.

En mutualisant les risques (les emprunteurs jeunes et en bonne santé paient pour les plus vieux et en moins bonne forme), voire en éliminant les plus importants par le biais de questionnaire de santé ou d’exclusions de garantie, les couvertures « maison » dégagent des marges très confortables, de l’ordre de 70%. Il n’y a que dans l’industrie du luxe que l’on voit une telle rentabilité ! En outre, il s’agit d’une clientèle plus ou moins captive. Pas facile de refuser le contrat collectif de la banque quand on négocie un taux de crédit auprès d’elle…

Certes, la loi Lagarde de 2010 a rendu obligatoire la délégation d’assurance. Désormais, un établissement prêteur ne peut pas refuser une assurance emprunteur individuelle si celle-ci présente les mêmes niveaux de garantie que son contrat de groupe. Les banques ont tôt fait de jouer sur ce dernier argument pour rejeter les délégations.

S’il dispose de la possibilité de résilier son assurance emprunteur des mois, voire des années après l’obtention de son crédit, le particulier se retrouve, de fait, moins sous le joug de son banquier. C’est dire si l’arrêt de la cour d’appel de Douai peut avoir des répercussions importantes pour le secteur bancaire, sachant que l’assurance de prêt peut représenter jusqu’à 25% du coût d’un crédit. A moins qu’il ne soit « cassé » par les hauts magistrats comme l’a été la décision des juges bordelais. Une nouvelle bataille en perspective…

Auteur – Nicolas Peycru

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