Face à un marché financier qui fait peur après la crise de 2008, les actifs tangibles comme les terres agricoles attirent. On recherche des valeurs refuge. Épinglé comme le nouvel eldorado des investissements, le marché de la terre agricole séduit de gros investisseurs comme Charles Beigbeder. Investir dans les terres agricoles, c’est possible ? Si oui, peut-on parler de valeur refuge ?
Réfléchissons à une échelle très globale, à l’échelle mondiale. On le voit bien, la population augmente très rapidement et avec cette hausse démographique ce sont aussi les besoins en denrées alimentaires qui augmentent à toute vitesse. A ce titre, les terres agricoles, au vu de leur rareté, prennent automatiquement de la valeur à l’échelle globale. Pour les pays de petite taille ou très peuplés, investir dans des terres agricoles tient de l’investissement stratégique à des fins de sécurité alimentaire et d’autonomie alimentaire face au marché international de denrées. On voit également les terres agricoles intéresser les gros investisseurs institutionnels comme des holdings ou des fonds de capital-investissement qui misent sur une hausse rapide du prix du foncier agricole et sur une forte hausse de la productivité grâce aux différents transferts de technologie.
A l’échelle française, le prix du foncier agricole a également fortement progressé, notamment depuis 2008. Les raisons sont en partie les mêmes que citées précédemment, la hausse du prix des denrées et l’augmentation démographique rapide. Fin 2013, les SAFER (Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural ) estimaient que le foncier agricole français avait augmenté en moyenne de 42% en 7 ans. Certaines terres occupées en périphérie de ville ont pu connaître une hausse exponentielle de leur prix à l’hectare. Ce dernier phénomène est purement spéculatif et est lié au pari que l’expansion des villes concernées amènera ces mêmes terrains à devenir constructibles. En France, un dernier point participe à l’augmentation rapide de ces prix et c’est la raréfaction des parcelles.
Voici un tableau récapitulatif des prix du foncier agricole occupé (loué à un exploitant) depuis 2000 selon les SAFER (http://www.le-prix-des-terres.fr)
À noter toutefois que ces prix à l’hectare subissent de fortes disparités suivant la rareté et la qualité de la terre en France. En 2012, le prix moyen à l’hectare agricole loué était de 5000€/ha dans l’Oise et le Nord Pas de Calais, les greniers à blé de la France, 5500€/ha dans le Finistère Nord et littoral, mais seulement 2000€/ha en Vendée. Enfin, les terres libres ont une valeur vénale en moyenne 15% supérieure à la valeur louée.
Les chiffres à l’hectare à l’étranger sont moins transparents. Certains pays ne reconnaissent pas la propriété du sol mais uniquement la concession pour un bail de 99 ans par exemple (anciens pays de l’empire britannique ou du bloc URSS par exemple), d’où de grandes distorsions des prix suivant les statuts légaux. Selon la FNSafer
Nationale des Safer) toutefois, le prix moyen de l’hectare libre polonais se situerait aux alentours de 4900€ en 2011, à près de 10 000€ en Espagne mais en chute très rapide depuis la bulle immobilière et à plus de 35 000€ aux Pays-Bas. Les régions où les terrains agricoles coûtent les plus chers au m² sont l’Angleterre, le Pays de Galle, les Pays-Bas et l’Allemagne de l’Ouest. Si la France augmente rapidement, elle reste l’un des pays abordables aux investissements agricoles avec les pays de l’Est européen, l’Afrique, l’Amérique du Sud ou l’Asie. Il est habituel de corriger ces prix en les divisant par la valeur ajoutée corrigée à l’hectare (Vac) afin de bien prendre en compte la qualité agricole du terrain plutôt que sa superficie comme seul critère. A ce titre, les terrains français sont d’autant plus qu’ils sont en moyenne de très bonne qualité.
Cette dissociation du foncier de l’exploitation a ses détracteurs comme ses suiveurs. Les détracteurs critiqueront le risque de hausse spéculative du marché et la dé-corrélation du prix du foncier face aux rendements potentiels, l’expropriation des exploitants ne pouvant plus s’offrir le foncier, la recherche d’une agriculture de rentabilité… Sur l’autre plan, certains exploitants ne peuvent plus, notamment en France, se lancer dans l’agriculture pour cause de financement du terrain, souvent à cause de l’agrandissement progressif des parcelles en France où l’agriculture est très rationalisée. Cette association de producteurs locataires de long terme et d’investisseurs fonciers est ainsi un moyen alternatif pour les exploitants de lancer leur activité.
Un investissement en terrain agricole peut représenter en France un bon moyen de diversifier son patrimoine. Le concept est d’acheter une parcelle entière pour ensuite la louer à un exploitant en contrepartie de ce qu’on appelle un fermage. C’est-à-dire un loyer fixe et déterminé à l’avance, qui ne dépend sur du court terme pas des rendements de l’exploitation. Ainsi, si l’exploitation connaît une maladie par exemple, ou encore un orage de grêle ou tout autre accident d’exploitation, le risque est encouru par le producteur et non le propriétaire foncier.
Il est bon de noter que le fermage n’est pas déterminé de façon arbitraire par le propriétaire du terrain mais est encadré par les Safer (Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural). Il devra donc rester dans le créneau défini par la Safer du territoire en question. Avant tout investissement, il est donc primordial de vérifier à quel fermage l’on pourra prétendre. En moyenne, ce fermage est de 180€ par an par hectare en France soit une rentabilité d’environ 2,5%. Comme on l’a dit précédemment, c’est surtout sur la plus-value que l’investisseur touchera une forte rentabilité, notamment si le terrain agricole devient constructible et qu’il est bien situé ! Attention également, la Safer dispose toujours d’un droit de préemption sur les terres agricoles. Les transactions de grosses parcelles doivent être déclarées par les notaires et peuvent ensuite être refusées par la Safer si jugées non conformes ou si la Safer dispose d’un meilleur dossier de repreneur.
Il faut compter pour ces investisseurs en direct un investissement en moyenne de 200 000€, jusque 500 000€ pour de grosses parcelles très bien placées.
De la même façon que les Groupements Fonciers Viticoles et Forestiers (GFV et GFF), il est possible d’investir via une société civile dans des terres agricoles françaises. Cela permet des tickets d’entrée bien plus abordables (5000€ minimum en moyenne, investissements de 20 000€ en moyenne). Ces investissements permettent parfois des avantages en nature comme une décote sur les produits vendus (très fréquent dans les GFV). Ces investissements offrent une rentabilité comprise entre 1,5% et 3,5% et des plus-values correctes sans être mirobolantes. Ce sont là principalement des investissements plaisir, patrimoniaux ou à caractère responsable. Plusieurs foncière agricoles par exemple militent pour une agriculture responsable et biologique, pour préserver des techniques anciennes… Ces foncières déterminent en général annuellement en assemblée générale si les associés recevront ou non des dividendes. Le rendement peut aussi être contractuel et défini à l’entrée (ainsi que sa revalorisation annuelle).
Les règles fiscales sont très proches que l’investissement s’effectue en direct ou par achat de parts de GFA. Les fermages reçus ou loyers reçus via le GFA sont considérés comme des revenus fonciers, imposés comme tels au réel ou au micro-foncier. Le déficit potentiel est imputable sur d’autres revenus fonciers de toutes natures.
En cas de revente, c’est la fiscalité des plus-values immobilières qui s’applique, corrigée d’abattements spécifiques.
Si la valeur des parts ou de la parcelle n’excède pas 100 000€ alors les ¾ de la valeur sont exonérés de droits de mutation. Les sommes au-delà sont exonérées à hauteur de la moitié. Si et seulement si les biens ont été loués par bail de long terme (supérieur à 18 ans). Le donateur/le défunt doit avoir détenu les parts de GFA depuis plus de deux ans et le bénéficiaire doit les garder plus de 5 ans.
Si les mêmes conditions sont remplies, alors les ¾ des parts ou de la valeur de la parcelle sont déductibles de l’assiette taxable de l’ISF jusque 100 000€, la moitié au-delà.
Il est de plus en plus courant de délocaliser sa production alimentaire. Ainsi des parcelles agricoles dans des espaces tels que l’Afrique Subsaharienne, l’Amérique du Sud, l’Asie de l’Est ou l’Europe de l’Est ont été massivement acquis par des investisseurs étrangers.
Il convient alors de distinguer deux grands types d’investisseurs : les investisseurs étatiques et les sociétés de capital-investissement ou banques d’investissement. Dans les deux cas, l’intérêt des pays hôtes (si l’on met de côté les intérêts propres des intermédiaires dans ce milieu pointé comme très corrompu par les Nations Unies) sont multiples : transfert de technologies, emplois, apport de liquidités pour effectuer des investissements autres, promesses d’investissements réalisés par les propriétaires dans des infrastructures (canaux d’irrigation, routes,…).
La préoccupation des Etats dans ce type d’investissement est surtout de pallier leur manque de ressources (pays trop aride, trop peu de surface, trop grande démographie) sans être dépendants des marchés internationaux de denrées alimentaires, assurer leur sécurité alimentaire. Selon la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le Commerce et le Développement), cette préoccupation est surtout celle des nouveaux pays industrialisés de petite taille qui ont connu une forte croissance comme les pays du Golfe, la Corée du Sud mais aussi des pays de plus grande taille comme le Brésil, l’Afrique du Sud ou la Chine. Ainsi, Daewoo Logistics a investi pour le compte de la Corée du Sud dans presque la moitié des terres arables de Madagascar pour fournir la moitié des besoins en maïs du pays. En échange, les exploitations emploient des malgaches sur place.
S’il n’était pas rare il y a 20 ans de voir d’immenses groupes agro-alimentaires comme Dole acquérir des terres dans les espaces cités précédemment pour y appliquer leurs méthodes d’agriculture intensive, ils ne dominent désormais plus le marché. En effet, les grands acteurs de la finance internationale sont entrés sur ce créneau juteux en partant du même constat : une hausse durable de la démographie, du prix des denrées, de la rareté des terrains. Ces grosses holdings investissent dans d’immenses parcelles, y effectuent un transfert de technologie afin d’obtenir de bonnes productivités avant revente du terrain avec une énorme plus-value. Pour ne parler que des français, on peut citer Louis Dreyfus qui a investi massivement en Europe de l’Est et Amérique du Sud via ses holdings, ou encore Charles Beigbeder en Ukraine via son entreprise AgroGénération. Celle-ci a néanmoins souffert de plusieurs années médiocres quant à la météo et a fusionné avec Harmelia (société américaine), afin de diversifier la localisation des parcelles dans le territoire ukrainien (moins de dépendance face à la météo).
Investir en direct dans des parcelles à l’étranger est un investissement extrêmement coûteux et difficile. En effet, les droits de propriété diffèrent d’un Etat à l’autre, et les biens à vendre sont de très grande taille. Il est néanmoins possible d’investir dans ces foncières qui détiennent des terrains agricoles dans le monde entier. Il convient alors de choisir des foncières dont les parcelles sont diversifiées afin de mutualiser le risque (face aux intempéries, maladies, conflits,…). Je vous encourage aussi à étudier la charte éthique de ces foncières puisque certaines sont très offensives et pratiquent un véritable accaparement des terres via des expropriations.
Alors, malin un investissement dans les terrains agricoles ? Eh bien la France offre encore de belles opportunités puisque les prix y sont raisonnables face au reste de l’Europe de l’Ouest et la fiscalité est intéressante. Pour les investissements à l’étranger, ils sont réservés à de gros investisseurs ou des institutionnels et peuvent cacher de multiples exactions. Prudence donc.
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