Investir dans un livret A, malin ?

16 nov. 2018
PAR NICOLAS PEYCRU

Voilà un investissement que beaucoup connaissent, souple, garanti, et liquide. On le connaît si bien que 50 millions de personnes en ont un. Et pourtant, investir dans un Livret A, malin ? Creusons un peu !

Le livret A, explications

Le livret A est un compte règlementé, d’épargne et qui distribue des intérêts selon un taux défini par l’Etat (on y reviendra). Il peut être proposé par tous les établissements bancaires depuis le 1er janvier 2009. Avant cette date, seules La Banque postale, la Caisse d’épargne et le Crédit mutuel (via le livret bleu) pouvaient le commercialiser.

Si l’on fait un point d’histoire, on peut préciser que le livret A qui s’appelait jadis le « livret de caisse d’épargne » n’est pas tout jeune. Il a été créé en même temps que la Caisse d’Epargne à Paris en 1818, après les guerres napoléoniennes. A l’époque, Benjamin Delessert souhaite sécuriser l’épargne des Français (face à un Etat qui fut trop gourmand sous Napoléon) et encourager les particuliers à épargner. Le démarrage est relativement lent, et le public ciblé, c’est-à-dire les personnes aux revenus modestes, ne peuvent prendre le moindre risque avec leur épargne. Le livret sera de plus en plus règlementé à mesure qu’il séduit de nouveaux épargnants. Seront ainsi instaurés les plafonds de retrait, les plafonds de placement, les seuils de dépôt,… En 2005, les banques autres que les trois opérateurs historiques demandent, en vertu de la libre concurrence, de bénéficier du droit de distribution des livrets, droit qui leur est accordé en 2009. Cela leur permet de fidéliser leurs clients mais absolument pas de dégager une marge grâce à eux.

Aujourd’hui, l’ensemble des livrets A représente 150 milliards d’euros de capitalisation, pour environ 50 millions de livrets ouverts.

Evolution collecte Livret A

Pour ce qui est de son fonctionnement, il est d’une grande souplesse. Une fois ouvert, on peut y déposer les sommes que l’on souhaite (dans la limite du plafond) , quand on le souhaite et retirer sa mise sans pénalité aucune, ni fiscalité puisque les intérêts acquis ne sont soumis ni à l’impôt  ni aux cotisations sociales. Les fonds placés sont transférés à la Caisse des Dépôts et servent à financer des projets d’intérêt public, particulièrement de l’habitat social.

Les intérêts sont calculés 2 fois par mois (soit 24 fois par an), le 1er et le 16 du mois sur le solde du livret au moment de cette constatation bi-mensuelle. Pour connaitre son solde effectif au moment de la constatation, il faut retrancher les sommes ajoutées au livret dans la quinzaine en cours (qui seront constatées sur la quinzaine suivante). Les sommes retirées en cours de quinzaine sont considérées comme retirées dès le début de la quinzaine et ne produisent donc aucun intérêt même si elles ont été retirées la veille de la constatation.

Pour optimiser vos intérêts, il vaut donc mieux verser sur votre livret A les 15 et 30 du mois, tandis que vos retraits seraient à effectuer les 1er et 16 du mois. (Plus facile à dire qu’à faire, on en conviendra).

Enfin, il est bon de noter que les intérêts cumulés à chaque constatation ne sont capitalisés qu’en fin d’année. Ils ne rapporteront eux-mêmes des intérêts que l’année qui suit.

Comment ouvrir un livret A ?

On l’a dit, on peut ouvrir son livret A dans la banque de son choix. Il est cumulable avec d’autres livrets d’épargne comme le livret de développement durable. Toutefois, chaque particulier ne peut disposer que d’un seul livret A (ou livret bleu pour le Crédit Mutuel), à l’exception des particuliers ayant ouvert un livret bleu avant le 1er janvier 1979, qui peuvent ouvrir un livret A supplémentaire. Le livret est entièrement dématérialisé (c’était un livret papier jusqu’au début des années 2000) et ne donne lieu ni à un chéquier ni à une carte de paiement. Certaines banques proposent une carte de retrait à utiliser uniquement dans les points de retrait de leur réseau. Le retrait minimal est de 10€ par opération, sauf à la Banque Postale (1,5€).

Pour ouvrir un livret A, il faut un dépôt minimum de 1,5€, et de 15€ pour un livret bleu. Le plafond est de 22 950€ au 1er janvier 2013 (sauf pour certaines associations). Pour être plus exact, on ne peut effectuer de versement qui porterait l’épargne du livret à un montant supérieur à ce plafond. Mais le plafond peut être dépassé lorsqu’il y a des intérêts par exemple.

Au moment de l’ouverture, la banque vous fait signer un contrat précisant qu’il est illégal d’ouvrir plusieurs livrets A et détaillant ces différentes règles d’utilisation.

Le taux du livret A

Si ces livrets sont distribués par les banques du secteur privé, les taux relèvent eux de l’Etat et plus exactement du Ministère de l’Economie. Le taux a été fixé à 1,25% le 1er août 2013.

livret A

Ce taux était fixé suivant une méthode à la discrétion du gouvernement jusqu’au gouvernement Raffarin. Depuis, le taux nominal du Livret A est déterminé par un calcul précis tous les 1er février et les 1er août.

  • La formule depuis le 1er février 2008 donne un taux de livret A égal au taux d’inflation majorée de 0,25 point.
  • La moyenne arithmétique entre l’inflation française sur les produits de consommation des 12 mois précédents (source INSEE) et la propre moyenne arithmétique des 2 taux européens Euribor 3 mois et Eonia (moyenne de ces 2 taux sur les 12 derniers mois) qui sont les taux de référence des marchés monétaires européens.

Pour autant, le gouvernement se réserve le droit de ne pas appliquer cette formule quand la situation économique le préconise. C’est ainsi que le gouvernement Fillon avait maintenu le taux à 2,25% quand la formule le donnait à 2,75% début 2012. A l’inverse, Pierre Moscovici a annoncé le 1er février 2014 le maintien du taux à 1,25% quand le calcul donne un taux à 0,75%. Ce taux de 1,25% est le plus bas qu’ait connu le livret A depuis sa création et est dû à la faiblesse actuelle de l’inflation. Sa plus haute valeur, 8,5%, avait été atteinte en 1981, année d’inflation record également puisqu’elle culminait à 13,5%.

A noter, la formule actuelle donne un taux de livret A systématiquement supérieur à l’inflation, et ce n’est pas anodin. Jusqu’aux années 2000, le taux avait presque toujours été fixé en deçà de l’inflation. Un tel placement constituait donc une perte à terme de l’épargnant.

Calcul taux intérêt livret A

A savoir également, ce calcul du taux du livret A conditionne le taux des différents livrets règlementés  (LDD, livret jeune,…).

Le plafond de versement du livret A

La règle actuelle dit qu’on ne peut effectuer de versement sur son livret A (ou livret bleu) qui en porterait le montant à plus de 22 950€.

Le plafond du livret A = 22 950 €

Le livret peut néanmoins dépasser cette somme avec les intérêts cumulés. Cette valeur du plafond date du 1er janvier 2013. Ce plafond a été augmenté deux fois par le gouvernement de François Hollande, à 19 125€ fin 2012 puis 22 950 € en janvier 2013, son plafond actuel. Auparavant à 1530 depuis 2002, c’est la première fois qu’il connaît une telle hausse. En effet, ce plafond avait pour habitude d’être revalorisé tous les 2 ou 3 ans suivant l’inflation, puis avait été fixe de 1991 (15 245€) à 2002 (15 300€), puis jusqu’en 2012.

Certaines sociétés mutualistes, association loi 1901 ou encore institutions de bienfaisance peuvent ouvrir un livret A. Pour ces cas particuliers, le plafond est décuplé et peut atteindre jusqu’à 76 500€.

Si les banques se sont battues en 2006 pour pouvoir commercialiser les livrets A (c’était pour elles une façon de fidéliser leurs clients et de capter de l’épargne), cette hausse de 50% du plafond des livrets A a déclenché la fureur des milieux bancaires et financiers. En effet, au vu de la morosité des marchés financiers, ces livrets ont été remplis pour la plupart en 2012 puis 2013, captant une part non-négligeable de l’épargne française. Depuis, la collecte s’est largement ralentie et devrait rester basse puisqu’aucune hausse de plafond nouvelle n’est prévue et puisque ce taux historiquement bas fait fuir les épargnants.

Le plafond du livret A n’est pas déterminé par un calcul savant mais à la discrétion du gouvernement.

Un livret à succès ( ?)

On en a parlé rapidement, le livret A séduit. Pourquoi ? Il est souple, l’argent est disponible immédiatement, il peut être créé ou clôt en un temps record, il est sécurisé… Que d’avantages qui font de lui l’un des placements préférés des Français. Pour l’Etat, ce livret est également précieux bien qu’il échappe aux cotisations sociales et à l’impôt. En effet, les encours sont transférés à 65% vers la Caisse des Dépôts et sont utilisés notamment dans le financement des logements sociaux ou de prêts aidés pour le logement PLUS (point majeur pour l’Etat Providence), mais également dans le rachat de la dette de l’Etat. Double intérêt pour le gouvernement donc.

Pour autant, la hausse de 2013 du plafond de ce livret a attiré une partie de l’épargne des Français et a ranimé la « colère » des banques chez qui ces livrets sont ouverts. En effet, cette épargne n’est pas utilisable par les banques. Pour les banquiers, tous ces encours sont des fonds qui ne peuvent être placés sur des investissements plus rémunérateurs pour eux et pour leurs clients.

Alors, malin ou pas ?

Malin et moins malin. Loin d’une réponse démagogique, il s’agit là d’un avertissement. On l’a vu, les fonds des livrets A sont disponibles, garantis, et rémunèrent plus que l’inflation (un tout petit peu plus devrait-on dire). En soi ce n’est donc pas aberrant d’y placer ses deniers. Pour autant, le taux du livret A en fait un placement d’épargne très peu compétitif.

Malin donc de s’en servir comme une réserve accessible immédiatement pour des dépenses imprévues, bien moins malin de considérer un tel placement comme un investissement. Pour préparer sa retraite ou chercher à placer en vue de rendement, on conseillera de se tourner vers d’autres produits plus rémunérateurs comme l’assurance vie.

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